Messages les plus consultés

vendredi 25 septembre 2015

Utilisation de bases de données par un métamoteur de recherche externe : les conditions de licéité rappelées par la CJUE

Dans une décision du 19 décembre 2013, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a rappelé les conditions d’utilisation d’un métamoteur de recherche dédié pour que celui-ci ne soit pas considéré comme enfreignant les droits des exploitants des bases de données. (1)

Le litige opposait deux sociétés néerlandaises : la société Innoweb, qui exploite un métamoteur de recherche dédié dans le domaine de la vente automobile (gaspedaal.nl), à la société Wegener, qui exploite un site web d’annonces de vente de voitures d’occasion (autotrack.nl).

La société Wegener, considérant qu’Innoweb portait atteinte à ses droits d’exploitant de base de données par la mise à disposition d’un métamoteur de recherche, a assigné cette dernière afin de mettre fin à l’atteinte à ses droits. Wegener a obtenu gain de cause pour la plupart de ses demandes en première instance. La société Innoweb a fait appel. La cour a alors décidé de poser une série de questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne portant sur l’étendue de la protection des bases de données dans le cadre d’une utilisation par un métamoteur de recherche dédié.

Après avoir rappelé les conditions de la protection juridique d’une base de données, nous verrons comment ces conditions ont été appliquées à l’utilisation d’un métamoteur de recherche dédié.


1. Les sites de petites annonces protégés par le droit des bases de données

Les sites de petites annonces constituent des bases de données, protégées juridiquement.

- La protection juridique des bases de données : un droit sui generis
La directive européenne du 11 mars 1996 a consacré un droit sui generis de la protection des bases des données, indépendant de la protection par le droit d’auteur, et essentiellement axé sur la protection des droits patrimoniaux du fabricant, ou producteur, de bases de données.

Considérant en effet que le développement d’une base de données implique généralement un investissement humain et financier conséquent, sa protection juridique permet au fabricant de limiter ou d’interdire toute extraction ou réutilisation non autorisée des données. L’utilisation de la base dans sa totalité ou une partie substantielle, ou de manière répétée et systématique (par exemple, liste d’abonnés aux pages jaunes, catalogue de produits d’un site de e-commerce ou liste de petites annonces), est soumise à l’autorisation (contrat de licence) de l’ayant-droit, accordée en principe contre rémunération.

En revanche, toutes les bases de données ne sont pas automatiquement protégées. Seules les bases de données dont la collecte de données, leur vérification ou la présentation du contenu attestent un investissement, qualitatif ou quantitatif, substantiel sont protégées juridiquement.

- Les notions d’extraction et de réutilisation des données

Concernant les bases de données protégées, la directive définit les notions d’extraction et de réutilisation comme suit :

“extraction” signifie “le transfert permanent ou temporaire de la totalité ou d'une partie substantielle du contenu d'une base de données sur un autre support par quelque moyen ou sous quelque forme que ce soit” ;

“réutilisation” signifie “toute forme de mise à la disposition du public de la totalité ou d'une partie substantielle du contenu de la base par distribution de copies, par location, par transmission en ligne ou sous d'autres formes (…)

La directive précise ensuite que “l'extraction et/ou la réutilisation répétées et systématiques de parties non substantielles du contenu de la base de données qui supposeraient des actes contraires à une exploitation normale de cette base, ou qui causeraient un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du fabricant de la base, ne sont pas autorisées.” (3)

A contrario, l’utilisation d’une base de donnés par un tiers à des fins de consultation ponctuelle par exemple, n’est pas considérée comme portant atteinte aux droits du producteur.


2. Les conditions d'une utilisation licite des bases de données par un métamoteur de recherche

- Les questions posées à la CJUE

Un site web proposant un métamoteur de recherche peut-il être utilisé, sans l’accord des fabricants des bases de données référencées, pour réutiliser du contenu d’une base de données accessible en ligne en procédant, en temps réel, à des recherches dans la totalité ou une partie substantielle du contenu de ces bases de données tierces ?

Si le métamoteur de recherche ne renvoie aux utilisateurs qu’une partie minime du contenu de la base de données tierce, ou la fait apparaître sur son site web selon sa propre présentation et que les actes de recherche sont répétés en permanence, une telle utilisation du métamoteur correspond-elle alors à une réutilisation répétée et systématique de parties non substantielles du contenu de la base de données, contraire aux intérêts du fabricant de la base ?

C’est en substance la problématique soulevée par la cour d’appel néerlandaise à la CJUE dans l’affaire opposant la société Innoweb à Wegener.

- Définition d’un métamoteur de recherche dédié

Dans un premier temps, la Cour définit en quoi consiste un métamoteur de recherche dédié, puis applique les critères établis par la directive afin de déterminer si l’utilisation des bases de données par ce type de métamoteur enfreint les droits des fabricants.

La Cour distingue entre les moteurs de recherche fonctionnant sur des algorithmes, tels que Google ou Yahoo et les métamoteurs de recherche dédiés. Concernant ce type de métamoteur, l’exploitant du service ne dispose pas d’un moteur de recherche propre mais a recours aux moteurs de recherche utilisés par les sites tiers, couverts par le service de recherche.

Le qualificatif “dédié” signifie que le métamoteur est spécialisé dans les recherches sur un ou plusieurs domaines déterminés (en l’espèce, la vente de voitures d’occasion), permettant, par une seule requête, d’étendre la recherche sur plusieurs sites tiers d’annonces. Le métamoteur de recherche dédié traduit “en temps réel” les requêtes des utilisateurs dans les différents moteurs de recherche des sites tiers, permettant de balayer les données de ces bases.

En l’espèce, le métamoteur du site gaspedaal.nl permet de procéder à des recherches dans les bases de données de vente de voitures selon plusieurs critères (marque, modèle, kilométrage, année et prix notamment). Les résultats obtenus sont agrégés, le site du métamoteur affichant les liens vers les annonces correspondant à la requête. En l’espèce, les données n’étaient pas extraites des bases couvertes par le métamoteur.

- Notion de réutilisation des contenus de la base de données
La Cour analyse ensuite la notion de réutilisation, au regard de la finalité définie dans la directive, en l’appliquant au métamoteur de recherche dédié.

Selon la Cour, la notion de réutilisation au sens de l’article 7 de la directive, “doit être interprétée comme se référant à tout acte consistant à mettre à la disposition du public, sans le consentement de la personne qui a constitué la base de données, les résultats de son investissement, privant ainsi cette dernière de revenus censés lui permettre d’amortir le coût de cet investissement”, peu importe la nature ou la forme du procédé utilisé.

L’activité de l’exploitant d’un métamoteur de recherche a pour objet de fournir aux internautes un dispositif permettant d’explorer toutes les données figurant dans des bases de données protégées, en accédant à l’intégralité du contenu des bases par d’autres voies que celles prévues par les fabricants de ces bases de données. Cette activité a notamment des conséquences financières pour les exploitants des bases de données. En effet, les internautes n’ont plus besoin de se rendre sur leurs sites pour faire leurs recherches, ni même pour accéder aux annonces (ou au moins, sans passer par la page d’accueil du site de petites annonces). Les revenus publicitaires des sites de petites annonces sont alors potentiellement affectés.

La Cour en conclut que l’exploitant d’un métamoteur de recherche dédié procède effectivement à une réutilisation du contenu d’une base de données, au sens de la directive. Cette réutilisation porte sur une partie substantielle, voire même sur la totalité, du contenu de la base concernée, dès lors que le métamoteur : i) fournit à l’utilisateur final un formulaire de recherche offrant les mêmes fonctionnalités que le formulaire de la base de données ; ii) traduit en temps réel les requêtes des utilisateurs finaux dans le moteur de recherche de la base de données, permettant ainsi d’explorer toutes les données de la base ; et iii) présente à l’utilisateur final les résultats sous l’apparence extérieure de son site internet en réunissant les doublons en un seul élément, mais dans un ordre fondé sur des critères comparables à ceux utilisés par le moteur de la base de données pour présenter ses résultats.


    En conséquence, un site qui mettrait à la disposition des internautes un métamoteur de recherche dédié, sans avoir au préalable obtenu l’accord des exploitants des sites couverts par ce métamoteur (et quelque soit le domaine couvert par le métamoteur) doit respecter les critères suivants pour ne pas enfreindre les droits des fabricants des bases de données concernées :
    - fournir un formulaire de recherche comprenant des fonctionnalités différentes de celles proposées par les formulaires des bases de données couvertes ;
    - ne pas traduire en temps réel les requêtes des utilisateurs dans le moteur de recherche de la base de données afin de ne pas explorer toutes les données de cette base ; et
    - ne pas présenter à l’utilisateur les résultats de recherche sous l’apparence extérieure de son site internet, en réunissant les doublons en un seul élément et dans un ordre fondé sur des critères comparables à ceux utilisés par le moteur de la base de données pour présenter ses résultats.

Ainsi, l’exploitant d’un métamoteur de recherche a deux solutions pour ne pas enfreindre les droits des fabricants des bases de données des sites couverts : soit obtenir l’accord de ces sites tiers pour interroger leurs bases de données et proposer les résultats obtenus en temps réel, selon un format similaire à celui utilisé par le/les sites d’annonces, soit exploiter le métamoteur sans l’accord des sites tiers, mais en respectant les critères définis par la CJUE, en acceptant le fait que ces contraintes techniques donneront des résultats certainement moins pertinents pour les utilisateurs.

                                                            * * * * * * * * * * *

(1) CJUE, 5ème chambre, décision du 19 décembre 2013, Innoweb BV, Wegener ICT Media BV, Wegener Mediaventions BV

(2) Directive 96/9/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 1996 concernant la protection juridique des bases de données, transposée en droit français aux articles L.341-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle

(3) Article 7.2 et 7.3 de la directive



Bénédicte DELEPORTE
Avocat

Deleporte Wentz Avocat
www.dwavocat.com

Septembre 2015

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire