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lundi 26 décembre 2011

La charte informatique face à l’évolution des technologies : l'outil indispensable pour définir les règles du jeu

L’entreprise, qui met à la disposition de ses salariés un ordinateur, les logiciels associés, une adresse email et éventuellement permet l’accès à internet, doit sensibiliser ses collaborateurs aux règles d’utilisation de ces outils et ressources de travail.

La charte informatique (ou charte internet), bien que non obligatoire, devient ainsi un document indispensable dans l’entreprise, pour une bonne gouvernance des règles d’utilisation des ressources technologiques. La charte informatique permet non seulement de définir les “règles du jeu” en terme d’utilisation des équipements et logiciels mis à la disposition des salariés, mais également de définir les règles de communication par voie électronique (emails, réseaux sociaux) dans et sur l’entreprise.(1)

Avant le déploiement d’une charte informatique, une réflexion de fond sur son périmètre d’application doit être menée afin de déterminer au mieux les droits et obligations des collaborateurs. La charte, rédigée dans les règles et dûment intégrée au règlement intérieur de l’entreprise, est reconnue comme étant opposable aux utilisateurs.


1. Le périmètre d’application de la charte informatique

    1.1 Les préalables à sa mise en place

Avant tout déploiement d’une charte informatique dans l’entreprise, une réflexion à 360° doit être menée sur les besoins des collaborateurs en termes de ressources informatiques au sens large (matériels, logiciels, usages, communication interne et externe, accès à internet, etc.). En effet, ces besoins ne sont pas les mêmes pour toutes les entreprises, ni au sein d’une entreprise, pour toutes les catégories de collaborateurs, selon leurs fonctions ou leur mobilité dans l’exercice de leur activité.

Il y a quelques années, la charte informatique se résumait à définir globalement les utilisations autorisées des matériels informatiques et logiciels mis à la disposition des collaborateurs, ainsi que quelques règles relatives à l’utilisation d’internet pendant les heures et sur le lieu de travail. Il est désormais nécessaire d’aller plus loin dans la réflexion afin de prendre en compte les équipements personnels des collaborateurs, la gestion des accès à distance, ou l’utilisation des outils collaboratifs.

Enfin, au terme de cette réflexion préalable, il conviendra de décider s’il est préférable de consigner ces règles d’utilisation dans un seul document (charte informatique), ou dans plusieurs documents suivant les domaines d’application (charte informatique, charte internet, voire charte de la communication).

    1.2 Les règles à prendre en compte pour la rédaction de la charte

Un certain nombre de principes généraux doivent être pris en considération dans la définition des règles générales applicables à la charte informatique : respect de la vie privée et liberté d’expression, deux libertés fondamentales qui ne disparaissent pas au moment où le salarié passe la porte de l’entreprise.

Le principe du respect de l’intimité de la vie privée
L’application de ce principe est régulièrement rappelée par les juges de la Cour de cassation, et son étendue précisée par leur jurisprudence au regard des évolutions de l’utilisation des technologies dans l’entreprise.

Ce principe vient d’être rappelé encore récemment par les juges dans une affaire d’accès par l’employeur aux emails d’un salarié. Un salarié avait été licencié, au motif notamment, qu’il détenait des messages à caractère pornographique dans sa messagerie professionnelle. Le salarié avait contesté le motif de son licenciement devant les tribunaux. La Cour d’appel de Rennes lui avait donné droit. Dans un arrêt du 5 juillet 2011, la Cour de cassation a confirmé l’arrêt d’appel en énonçant que “le salarié a droit, même au temps et lieu du travail, au respect de l’intimité de sa vie privée ; que si l’employeur peut toujours consulter les fichiers qui n’ont pas été identifiés comme personnels par le salarié, il ne peut les utiliser pour le sanctionner s’ils s’avèrent relever de sa vie privée (…).”(2)

Le principe de la liberté d’expression
Le principe de la liberté d’expression s’applique même au sein de l’entreprise.(3) Ce principe connaît cependant des limites, par exemple en cas de violation de la confidentialité des informations échangées, de mise en ligne de messages diffamatoires ou injurieux, ou de nature à porter une atteinte grave à l’image de la société.(4)

Il est donc recommandé de préciser dans la charte, les règles de communication institutionnelle de l’entreprise, mais également les règles applicables à l’utilisation des réseaux sociaux externes, tels Facebook ou Twitter, ou des blogs, ainsi que les règles d’utilisation du RSE, si un tel outil existe dans l’entreprise. Ainsi, la détermination de lignes de conduite permettant de distinguer entre communication de nature professionnelle et communication privée (ou non professionnelle) sera utile pour aider les collaborateurs à identifier les limites entre sphère professionnelle et non professionnelle.

A ce titre, il est intéressant de se référer aux guides des bonnes pratiques sur les réseaux sociaux mis en place dans le journalisme. L’une des questions posées était de déterminer notamment si les commentaires des journalistes sur les réseaux sociaux étaient postés à titre professionnel (et engageaient donc leur rédaction), ou à titre privé (et n’engageaient donc que l’auteur du message). Même si nous ne sommes pas tous des journalistes professionnels, toute personne qui publie un contenu en ligne est un “journaliste en herbe” et éditeur - et responsable - de son message.(5)

    1.3 Le contenu de la charte : équipements et logiciels autorisés, règles de communication

Globalement, toute charte informatique doit couvrir les points suivants : politiques de l’entreprise en matière d’équipements, en matière de logiciels à utiliser, et en matière de communication.

Les équipements
Quels équipements les collaborateurs sont-ils autorisés à utiliser dans le cadre de leur activité professionnelle ? Auparavant, la question était de déterminer dans quelle mesure les collaborateurs pouvaient utiliser les équipement fournis par l’entreprise (pc, téléphone portable) à des fins personnelles. Dorénavant, la question doit également porter sur l’utilisation des équipements personnels à des fins professionnelles.

Cette question est d’autant plus importante que dans certains domaines d’activité, la distinction vie professionnelle / vie privée tend à s’estomper quelque peu, de plus en plus de salariés utilisant leurs propres équipements (pc, smartphones, tablettes internet) pour travailler, pour se connecter à distance aux serveurs de l’entreprise, à l’intranet, à la messagerie dans le cadre de leur activité professionnelle.

La charte pourra donc préciser que seuls les équipements fournis par l’entreprise pourront être utilisés dans le cadre de l’activité professionnelle, à l’exclusion de tous autres, ou que certains équipements personnels pourront être utilisés. Dans cette seconde hypothèse, il conviendra de prendre en compte les aspects liés à la sécurité des accès, à la confidentialité des données de l’entreprise, aux problèmes liés à la maintenance de ces équipements, aux demandes des collaborateurs concernés relatives à l’indemnisation des abonnements, etc.

Les logiciels
Il conviendra de déterminer la liste des logiciels que les collaborateurs sont autorisés à utiliser dans le cadre de leurs activités professionnelles, ou d’interdire l’utilisation de tous logiciels non fournis par la DSI de l’entreprise. Ce point est très important, afin de limiter les téléchargements de logiciels non testés et approuvés par la DSI, ainsi que les logiciels potentiellement contrefaisants, et les logiciels de téléchargement peer-to-peer ou de streaming.(6)

Les règles de communication
Enfin, la charte technologique devra aborder la problématique de la communication et l’utilisation des différents outils de communication : email, sms, tchat, réseaux sociaux. Quant aux règles d’utilisation d’internet, il paraît difficile aujourd’hui de bloquer toute utilisation d’internet par les collaborateurs. Cependant, il reste possible de bloquer l’accès à certains sites ou catégories de sites web, ou d’émettre des règles sur les sites autorisés, les sites tolérés, et les sites interdits.

Les règles de contrôle et d’accès aux informations de connexion et aux emails pourront utilement être rappelées.


2. La valeur normative de la charte informatique au sein de l’entreprise

La finalité de la charte informatique est double : i) informer les salariés sur les règles d’utilisation des équipements et logiciels mis à leur disposition et les sensibiliser sur les règles de communication professionnelle, et ii) les informer sur les sanctions éventuelles en cas de non-respect de ces règles.

Plus qu’un simple document informatif, la charte informatique est désormais bel et bien reconnue comme opposable aux salariés.

    2.1 Un document opposable aux utilisateurs, mais à quelles conditions ?

La valeur normative, et donc le caractère opposable de la charte informatique, a été consacrée par la Cour de cassation dans un arrêt du 15 décembre 2010. En l’espèce, un collaborateur de la société Coca Cola avait été licencié pour faute grave suite à la découverte par l’employeur de documents à caractère pornographique, conservés sur le disque dur de l’ordinateur professionnel du collaborateur. La Cour a relevé que cette pratique avait constitué “un manquement délibéré et répété du salarié à l’interdiction posée par la charte informatique mise en place dans l’entreprise et intégrée au règlement intérieur, (…) que ces agissements, (…) étaient constitutifs d’une faute grave et justifiaient le licenciement immédiat de l’intéressé ; (…).”(7)

En revanche, il est très probable qu’en l’absence de charte informatique définissant les règles d’utilisation des ressources technologiques de l’entreprise, l’employeur n’aurait pu licencier le salarié pour ce motif. Ainsi, dans un arrêt de décembre 2009, la Cour de cassation a cassé une décision d’appel qui avait validé le licenciement d’un salarié pour des faits similaires (détention de fichiers à caractère pornographique sur l’ordinateur professionnel). En l’espèce, la société n’avait déployé que des notes de service.

Ainsi, la Cour a retenu que “(…) l’arrêt (d’appel) énonce que les fichiers contenant des photos à caractère pornographique qui portaient atteinte à la dignité humaine, enregistrés et conservés dans son ordinateur dans un fichier archive accessible par tout utilisateur, établissent le détournement par le salarié du matériel mis à sa disposition en violation des notes de service (…) ; Qu’en statuant ainsi, (…) la cour d’appel a violé le texte susvisé.”(8)

Ainsi, pour que la charte informatique soit pleinement opposable aux utilisateurs, et donc suivie d’effet (application de sanctions éventuelles en cas de non-respect des règles qui y sont définies),  la charte doit être annexée au règlement intérieur de la société et déposée auprès des services de l’Inspection du travail et du greffe du Conseil des prud’hommes du siège social de la société. De simples notes de service risquent d’être jugées insuffisantes, au-delà de la simple information, pour être pleinement opposables aux utilisateurs.

    2.2 Un document opposable, mais à quels utilisateurs ?

Si la charte informatique est intégrée au règlement intérieur, elle devra non seulement être appliquée par les salariés de l’entreprise, mais également par les intervenants tiers pendant la durée de leur mission dans l’entreprise.

Le règlement intérieur, obligatoire dans les entreprises de plus de vingt salariés, fixe les règles en matière d’hygiène et de sécurité dans l’entreprise, et en matière de discipline (article L.1321-1 et s. C. du trav.). Ce document s’applique, en premier lieu, aux salariés de l’entreprise.

Le règlement intérieur est également appelé à s’appliquer aux tiers pendant la durée de leur mission dans les locaux de l’entreprise. En effet, les personnels intérimaires, les consultants indépendants et autres sous-traitants doivent respecter le règlement intérieur de l’entreprise-cliente, pour autant que ces interventions soient réalisées dans les locaux de cette entreprise.

En cas de non-respect du règlement intérieur par ces personnes (par exemple, oeuvres téléchargées illégalement par l’intervenant et sauvegardées sur les serveurs de l’entreprise, communication sur les réseaux sociaux avec divulgation non-autorisée d’informations confidentielles), l’entreprise pourra demander le remplacement de l’intervenant concerné, voire la résiliation du contrat de prestation, aux torts de la société prestataire.

En tout état de cause, le règlement intérieur et la charte informatique devront être affichés et diffusés au sein de l’entreprise.


L’évolution des technologies et des comportements de communication doivent susciter, dans l’entreprise, une réflexion régulière sur l’évolution des besoins des utilisateurs (par exemple : évolution des équipements - smartphones, tablettes internet ; évolution des modes de communication et des outils de collaboration en ligne tels le déploiement d’un RSE, l’utilisation du e-learning ou du serious gaming (formation en ligne), et sur les besoins réels de l’entreprise pour rester compétitive et attractive, sans pour autant mettre en danger la sécurité et la confidentialité des données ; le défi des RSI et des RH étant de s’appuyer sur une charte informatique claire et exhaustive, qui ne sera pas obsolète dans quelques mois…


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(1) Nous avions écrit un précédent article sur ce thème en septembre 2008 intitulé : La charte technologique : pour la protection des réseaux et des données de l’entreprise (http://www.journaldunet.com/solutions/expert/31256/la-charte-technologique---pour-la-protection-des-reseaux-et-des-donnees-de-l-entreprise.shtml). L’objet du présent article est d’approfondir la réflexion sur le déploiement des chartes informatiques face à l’évolution des technologies et des modes de communication dans l’entreprise.
(2) C Cass. soc. 5 juillet 2011, Gan Assurances Iard c/ M. X.
(3) Article L.1121-1 du Code du travail : “Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché.”
(4) Voir Conseil des prud’hommes de Boulogne-Billancourt, jugements de départage du 19 novembre 2010, M. B. c/ Alten Sir et Mme B. c/ Alten Sir, ayant confirmé la décision de licenciement de salariés ayant dénigré leur employeur et leur supérieur hiérarchique sur Facebook. Dans ces deux affaires, il a été jugé que les salariés avaient abusé du droit d’expression consacré à l’article L.1121-1 du Code du travail.
(5) Voir notamment la Charte d’éthique professionnelle des journalistes du Syndicat national des journalistes, le Guide de participation des journalistes AFP aux réseaux sociaux et le Guide des bonnes pratiques aux réseaux sociaux de France Télévisions
(6) Il conviendra notamment de sensibiliser les collaborateurs aux téléchargements illégaux et aux dispositions des lois Création et Internet ou lois Hadopi (Loi n°2009-669 du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet ; et loi n°2009-1311 du 28 oct. 2009 relative à la protection pénale de la propriété intellectuelle et artistique sur internet)
(7) C Cass. soc. 15 décembre 2010, Emmanuel G. c/ Coca-Cola, Assedic
(8) C Cass. soc. 8 décembre 2009, Sergio G. c/ Peugeot Citroën Automobiles



Bénédicte DELEPORTE – Avocat

Deleporte Wentz Avocat
www.dwavocat.com

Décembre 2011

article publié sur le Journal du Net le 27 décembre 2011

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